mardi 21 décembre 2010

Frida Kahlo, photo de Nickolas Murray, NYC, octobre 1938. (2)








« Elle était là, ce 20 avril 1938, comprise dans l’un des deux cubes (je ne sais jamais si c’est le bleu ou le rose) de sa maison transparente dont le jardin bondé d’idoles et de cactus à tignasse blanche comme autant de bustes d’Héraclite ne s’enclôt que d’une bordure de « cierges » verts dans l’intervalle desquels glissent du matin au soir les coups d’œil de curieux venus de toute l’Amérique et s’insinuent les appareils photographiques qui espèrent surprendre la pensée révolutionnaire comme l’aigle, au débotter, dans son nid. […]
Au mur du cabinet de travail de Trotsky j’ai longuement admiré un portrait de Frida Kahlo de Rivera par elle-même. En robe d’ailes dorées de papillons, c’est bien réellement sous cet aspect qu’elle entrouvre le rideau mental […] Qu’elles n’ont pas été ma surprise et ma joie à découvrir, comme j’arrivais à Mexico, que son œuvre, conçue en toute ignorance des raisons qui, mes amis et moi, ont pu nous faire agir, s’épanouissait avec ses dernières toiles en plein surréalisme. […] Le tableau que Frida Kahlo de Rivera était alors en train d’achever, « ce que l’eau me donne », illustrait à son insu la phrase que j’aie recueillie naguère de la bouche de Najda: « je suis la pensée sur le bain dans la pièce sans glace »
Il ne manque même pas à cet art la goutte de cruauté et d’humour seule capable de lier les rares puissances affectives qui entrent en composition pour former le philtre dont le Mexique a le secret. Les vertiges de la puberté, les mystères de la génération alimentent ici l’inspiration qui, loin comme sous d’autres latitudes de les tenir pour des lieux réservés de l’esprit, s’y pavane avec un mélange de candeur et d’impertinence.
J’ai été amené à dire, au Mexique, qu’il n’était pas, dans le temps et dans l’espace, de peinture qui ne parût mieux située que celle-ci. J’ajoute qu’il n’en est pas de plus exclusivement féminine au sens où pour être la plus tentante, elle consent volontiers à se faire tour à tour la plus pure et la plus pernicieuse.
L’art de Frida Kahlo de Rivera est un ruban autour d’une bombe. »

André Breton, Écrits sur l’art et autres textes, Bibliothèque de la Pléiade, Œuvres complètes IV, Gallimard.

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